Tuesday, December 11, 2007

Vocation de Dignité

Vocation de Dignité de Jean Divassa Nyama

Le thème qui fait l’objet de notre exposé s’intitule :" Femme et tradition dans la Vocation de Dignité" de jean Divassa Nyama. Il faut reconnaître que le binôme femme-tradition avait déjà été évoqué par certains écrivains négro-africains, notamment Seydou Badian dans Sous L’orage ; Sembene Ousmane dans Xala ; Mongo Béti dans Perpétue ou l’habitude du malheur ou encore Le fils du fétiche de David Ananou, etc. pour dénoncer ou décrire la situation des personnages féminins dans un univers fait de coercitions et de restrictions qu’est la société traditionnelle.Bien entendu, l’espace littéraire gabonais n’est ménagé de cette tendance :De nombreux écrivains gabonais ont eux aussi traité de la question de femme et de la tradition dans leurs productions fictionnelles. Nous citerons entre autres, Justine Mintsa dans Histoire d’Awu, Chantal Magalie Mbazoo-Kassa dans Fam ! et bien sûr Jean Divassa Nyama dans son ouvrage La vocation de Dignité.Dans ce roman au titre évocateur, la femme est placée dans la perspective d’une évolution de la tradition au progrès. Mohamadou Kane l’ a bien vu lorsqu’il affirme dans son Roman africain et tradition que : « L’ampleur du thème de la femme dans le roman africain se justifie par la nécessité de l’évolution des mœurs et des mentalités ». Alors il nous revient de nous interroger sur les liens que la femme entretien avec la tradition, de savoir la situation que traverse le sujet féminin dans l’univers traditionnel, de savoir si la femme est un être libre ou émancipé. Autrement dit, Quelles sont les rapports que la femme a avec la tradition dans le roman de Divassa Nyama ? Que vit la femme dans cet univers traditionnel ? Subit-elle les us et coutumes de la tradition ou par contre les transgresse-t-elle ?I.La femme comme agent de transmission culturelleLe ratio femme-tradition tel qu’il s’ inscrit dans l’œuvre divassienne est entachée de plusieurs interférences. Avant que de ressortir ces échanges, il convient de définir le vocable « tradition ». Selon le dictionnaire Larousse, le vocable « tradition » vient selon son étymologie latine de «tradio » :"Action de se livrer, de transmettre" ; la tradition se définit donc comme ,« l’ensemble de légendes, de faits, de doctrines,etc. transmis oralement sur un long espace temps. »Pour Amadou Hampâté Ba : « qui dit « tradition » dit héritage accumulé pendant des milliers d’années par un peuple. Ainsi, dans le cas du roman soumis à notre étude, le personnage féminin est au centre de la transmission de l’héritage culturel. Nous verrons donc au cours de cette partie comment celle-ci pérennise le clan ou la tribu ou transmet des savoirs à la jeune fille pour que celle-ci s’accomplisse dans sa vie de femme.

La femme , un agent de la transmission des savoirs ésotériques :Dans l’ouvrage de Divassa Nyama, la femme est un l’élément qui détient un pouvoir mystique. C’est le cas de Mâ N’Foula la prêtresse de la pluie qui a la capacité de manipuler les éléments du temps. Oncle Mâ a d’ailleurs fait recours à ses services lorsqu’il s’agira de trouver solution à la sécheresse qui frappe le petit village de Muile. La page 9 est révélatrice de cette démarche : « Oncle Mâ a consulté en vain tous les oracles, puis les mânes des ancêtres…En dernier recours, il est allé trouver Mâ N’Foula, la prêtresse de la pluie. Ici, nous l’observons bien, Mâ N’Foula est la dépositaire des pouvoirs surnaturels, des pouvoirs ésotériques. C’est elle qui ordonnance, règle le temps, le beau temps. Ainsi donc, le premier rôle joué par la femme dans la société traditionnelle fait en sorte que celle-ci soit « le fil d’Ariane » du point de vue mystique entre les générations.I.2.La femme, un agent de conservation du clan :Par ailleurs, la femme théâtralisée ici, peut-être considérée comme l’élément de pérennisation du clan ou de la tribu. En effet, dans La vocation de Dignité, la femme y apparaît comme le personnage-source par qui naît ou se transmet une descendance. C’est le cas de Grand-mère Bengué ; car c’est grâce à cette femme que la tribu de Dignité s’appelle la tribu de la Calebasse. Mariée, mais stérile, elle aura au milieu de la nuit une vision dans laquelle son arrière-grand père viendra lui indiquer « un coin de plantation où pousse un calebassier »(p.15) ;en décidant de suivre les conseils de son aïeul , elle trouvera un bébé dans une calebasse et qui va finalement donner le nom à la tribu de la famille de Dignité.

Le comportement de la jeune fille :Le rôle assuré par la femme dans la transmission peut-être perceptible à travers l’éducation de la jeune fille :Nous le voyons bien, lorsque Mère Moussavou apprend à Dignité comment il faut planter l’arachide. Les pages 59-60 l’attestent : « Si Dignité sait tenir la machette pour planter les grains d’arachide(…)c’est à sa grand-mère qu’elle le doit ». A la lumière de ce qui précède, tout porte à croire que la femme joue un rôle déterminant dans la transmission de la culture, de l’héritage familial.Toutefois, la tradition a tendance à réduire la femme en un simple objet de procréation et surtout d’enrichissement.II. La femme, moins qu’un être humain, un objet: Dans La vocation de Dignité, la femme traditionnelle paraît moins qu’un être humain; c’est un objet ; un être soumis à la procréation, un moyen par lequel la famille sinon les parents parviennent à leurs fins matérielles et financières et encore une personne dont les tâches, les responsabilités semblent plus de la servitude qu’autre chose.II.1.La femme, un rôle de procréation :Comme dans toutes les traditions, les femmes évoqué par Jean Divassa Nyama dans son ouvrage n’échappe pas au destin auquel on l’a souvent associé : Celui de mère , de femme au foyer avec tous les attributs qui vont avec.En effet, la famille de Dignité appartient à la tribu de la Calebasse. Il faut entendre par Calebasse, l’image même de la femme, pas n’importe laquelle, celle qui met au monde des enfants, celle qui procrée, celle qui concourt à prolonger la lignée. Ainsi, lit-on à la page 99 : « Le plus important pour une femme(de la tribu de la Calebasse), c’est d’être capable d’agrandir (la) lignée. »Ce qui, un jour, plongera Dignité dans un certain désarroi lorsqu’elle devait embrasser la vie religieuse don celle de sœur alors qu’elle appartient justement à cette tribu où la femme n’est considérée que pour sa capacité à élargir la tribu, sa capacité à donner « beaucoup d ‘enfants »(p.109). Le pire c’est qu’on est parvenu à faire croire à la femme que ce n’est que comme cela qu’elle pourra honorer la tradition.Il appert au sortir de l’analyse de ce point que la plume divassienne peint la femme comme un agent de procréation. Mais ce n’est pas tout, la femme apparaît encore comme un moyen par lequel l’on s’enrichit.

La femme, une valeur marchande :La femme traditionnelle, dans la mesure où elle n’est pas encore totalement ou partiellement parvenu à se libérer des carcans dans lesquels la tradition l’a enlisé est encore considérée comme quelqu’un dont la beauté et les qualités sont à revendre au plus offrant.Certains textes négro-africains tels que Sous l’orage de Sembene Ousmane, Trois prétendants un mari de Guillaume Oyono Mbia pour ne citer que ceux-là, énoncent de façon éloquente cet aspect de la femme prise pour une valeur marchande et la femme traditionnelle chez Divassa Nyama n’échappe non plus à cette caricature grotesque et humiliante.En effet, Dignité,pourtant devenue religieuse donc hors de portée par rapport à cette caricature de la femme où la dot donnée par le futur gendre à la future belle-famille est d’un grand intérêt va risquer d’être l’objet, même s’il est vrai que cela ne se produira pas, du caractère pervers et déshumanisant de Mandoukou Hubert qui ne veut plus, selon ses dires à la page 122 « que Dignité reste au couvent, car (il) a besoin d’argent et qu’(il) souhaite qu’elle épouse un magistrat pour (se) libérer des griffes de la justice. »Ce comportement, cette attitude de Mandoukou vis-à-vis de Dignité n’est autre que le reflet des rapports entre l’homme et la femme dans les sociétés traditionnelles où l’homme est supérieur à la femme...De plus, ce même Mandoukou n’hésitera pas à répudier sa femme Mounogou allant jusqu’à réclamer sa dot au centime près à son ex-belle famille. Il réclamera par exemple les 40 francs qu’il avait donnés à Dignité pour qu’elle achète des bonbons. C’est dire que la femme ici, paraît comme si on lui avait dénié une valeur humaine. C’est dans cette optique que Marguerite Sacoume dans Tradition et modernité en Afrique noire que cite Alain-Roger Mayeki dans son mémoire de maîtrise intitulé « Tradition et modernité dans Sahel !Sanglante sécheresse et La nièce de l’imam de Mande Alpha Diarra que : « La femme africaine traditionnelle était opprimée et tout ce qu’elle possédait devait être présenté au mari. L’homme faisait la loi à sa façon, il commandait et tous les avantages étaient pour lui et la femme n’en profitait pas ».La femme est donc, selon le mot de Senghor, « comparée à une bête de somme »La femme est donc, à travers les analyses que nous venons de faire un objet car la société traditionnelle semble ne pas donner une valeur humaine à cet être.De plus, la tradition confine la femme dans un rôle qui ne lui permet pas de s’épanouir ; c’est-à-dire que la transmission de doctrines, de légendes réduit la femme à un rôle de mère. Avec toutes les vicissitudes qui vont avec.II.3.La femme, un rôle social :En plus de n’être qu’un agent de reproduction et une valeur marchande, la femme traditionnelle chez Divassa comme chez de nombreux auteurs africains au sud du Sahara, est un personnage à qui on renvoie l’image d’une personne dont la seule science est la « science du ménage .»comme disait au XVIIè siècle Molière dans ses Femmes savantes.En effet, c’est très tôt que l’on inculque dans les sociétés traditionnelles africaines, à la femme les enseignements sur sa responsabilité au foyer :S’occuper de son mari, de ses enfants, faire la cuisine, les plantations, etc. Cet état de chose n’est pas mauvaise en soi, mais il faut reconnaître que cela réduit la femme à un état de servitude ; car, en réalité, dans les sociétés dites modernes, certaines tâches sont partagées par le mari. Or, la tradition donne à l’homme supériorité sur la femme et par conséquent s’occupe de tous les vils devoirs de la maison dont ceux de répondre à tous les caprices, désirs et volonté de l’homme. Celui-ci a comme un pouvoir illimité sur les femmes et les enfants au point de disposer de la destinée des unes et des autres, on l’a vu avec Mandoukou et on peut le voir aussi à travers le père Biteffa qui somme à sa fille de s’initier au Tchikumbi et ce, contre la volonté de sa fille qui, pourtant, est une chrétienne. Mais comme la tradition semble valoir plus que tout, Bouanga n’hésitera pas de se soumettre au désir de son père.III.La femme, profanatrice des principes traditionnelsEn dépit du fait qu’elle subisse les vicissitudes de la société traditionnelle, la figure féminine qui traverse les linéaments du texte divassien est aussi décrite comme personnage transgression la tradition. Nous avons recensé tour à tour le mariage raté de Mounogou, le paradoxe Dignité et la professionnalisation du sujet féminin qui peuvent être considérées comme un personnage de l’idéologie traditionnelle.

Le mariage raté de Mounogou. En fait, le mariage est quelque chose de sacré dans la tradition. Mais tel qu’il a été expérimenté par Mounogou et son ex- époux Mandoukou, cela est une sorte de transgression ; car, la tradition condamne le non respect des beaux-parents par le gendre. Or, Mandoukou en se séparant de son épouse va jusqu’à réclamer les quarante francs de bonbons qu’il avait donné à Dignité.la sœur cadette de son ancienne épouse. Cela sera vécu comme une infamie, une humiliation pour la famille de Mounogou. C’est ce que nous lisons d’ailleurs à a page55 : «Dignité pleure de honte ; pour elle, c’est une humiliation. Pourquoi son beau-frère allait-il jusqu’à demander les quarante francs de bonbons qu’il lui avait donnés ? »Mounogou est donc à l’origine de cette humiliation familiale car ayant choisi un époux belliqueux et indélicat de la trempe de Mandoukou. C’est ce même reproche que lui une femme du clan à la page 55 : « Mounogou transgresse la loi traditionnelle parce qu’elle a choisi un époux sans le consentement de ses parents. L’attitude de Mounogou peut donc être considérée comme une perversion de la tradition.III.2.Dignité :le paradoxe.Il y a ensuite, le caractère de Dignité que l’on qualifierait de paradoxal. En effet, l’espoir que la tribu de l’Oncle Mâ s’est forgé sur Dignité c’est celui d’épouser un homme et assurer ainsi, une descendance à la tribu. D’ailleurs, elle-même le reconnaîtra en ces termes à la page 99 : « Je suis tiraillée(…)chez nous, le plus important pour une femme c’est d’être capable d’agrandir notre lignée(…) ».Or, en voulant servir Dieu, Dignité n’est plus capable d’agrandir la lignée. C’est là une transgression de la tradition.Dignité a donc choisi de « « déculturer » l’homme profondément assis sur les vieux démons de l’héritage traditionnel ».Car ,ce n’est qu’en faisant des enfants que la femme est respectée dans la tribu de la Calebasse.Or, voici que Dignité choisit « l’infécondité ».Mère Moussavou ne va pas par quatre chemins pour montrer son désespoir à la page 109,on y lit : « Est-ce que tu vois dans quelle situation je me trouve ? J’ai trop compté sur toi(...) ».Il apparaît ici que Dignité par ce choix vient de violer la tradition.III.Scolarisation et professionnalisation :une entrave à la traditionUne autre transgression faite par le sujet féminin dans le roman de Divassa est la scolarisation et la professionalisation.En effet, dabs la société traditionnelle,, on appréhende mal le fait que la jeune fille aille à l’école. Car, la place de la jeune femme est au foyer ;Elle doit s’appliquer dans les tâches ménagères. Or, Dignité a la possibilité d’aller à l’école cela est attesté par le fait que sa grande sœur lui offre un livre plutôt qu’un panier par exemple(p.144-145).Enfin, il y a le phénomène de professionnalisation qui paraît également transgresser la tradition. En effet, la société traditionnelle subdivise les tâches de façon à ce que ce soit l’homme qui occupe un travail, une fonction lui permettant de s’occuper de sa progéniture. Or , nous constatons que None, la grande sœur de Dignité occupe une fonction qui lui permet de se passer des services de l’homme.Au regard de ce qui précède, il appert que le sujet féminin décrit par notre auteur est aussi en marge de la tradition, parce que la transgressant.Nous voyons donc aussi peint , un sujet féminin « écartelé entre les pesanteurs de la tradition et les astreintes de la modernité ».Mais il faut dire que cette situation participe de la libération de la femme dans la mesure où elle se dégage des carcans dans lesquelles la tradition l’y a compromise.

En somme, nous dirons que le binôme femme-tradition se laisse clairement entrevoir dans La vocation de Dignité de Jean Divassa Nyama.En effet, la femme y paraît comme un agent de transmission culturel tel qu’on l’a vu à travers la figure de Mâ N’foula. En outre, la tradition qui, en réalité, semble avoir été conçue pour l’homme, confine la femme dans un rôle où elle n’est respectée que pour sa capacité à « produire » des enfants tout en assurant les tâches les plus viles du foyer et étant malgré tout considéré par sa propre famille comme un moyen d’enrichissement à travers la dot que va verser le plus offrant des prétendants. Mais le rapport femme-tradition semble s’entrouvrir quand même sur une note de libération de la femme où celle-ci à travers l’image de Dignité semble donner une lueur d’espoir à la femme qui sort des carcans traditionnels, de la soumission aux hommes pour la soumission à l’être suprême, c’est-à-dire Dieu. Dignité à l’instar de None représente malgré tout, la femme moderne scolarisée et exerçant une profession qui lui permet d’être indépendante, libérée. N’est-ce pas là la vocation et la dignité de toute femme aujourd’hui ?


Critiques

Le roman de Jean Divassa, parle de la Dignité d'une jeune fille, amenée à choisir entre le poids de la tradition punu et sa vocation de religieuse.


Il y a peut être dans cette équivoque toute la séparation d’un bon roman et d’un grand roman : en privilégiant une Dignité de chair et d’os au détriment de la Dignité dans son essence, Jean Divassa semble tourner le dos à l’universel et au souffle puissant des symphonies romanesques majeures. De même, l’œuvre pêche par la principale faiblesse de ses nombreux prédécesseurs, une indifférence coupable à l’égard de la théorie littéraire. On a l’impression d’une naïveté de l’écriture due à la méconnaissance de certaines lois de la littérature. Le choix d’un style simple et dépouillé confère à l’œuvre une incontestable fraîcheur certes, mais n’arrive pas à cacher un manque d’épaisseur chez les personnages et dans les thèmes. Cette insuffisance n’échappe pas tout à fait au romancier lui-même, qui essaie de la compenser au milieu du roman par le recours au personnage de Tanglima, incarnation vivante de la mémoire collective, dont l’ubiquité et la sagacité devraient conférer au texte à la fois épaisseur idéologique et complexité structurale. Mais son insertion un peu forcée nuit à une cohérence d’ensemble déjà compromise par la présence de nombreux « bruits » au sens barthien du terme, c’est-à-dire de situations narratives ou de personnages dont le lien entre eux et les finalités n’apparaissent pas toujours. Le roman est en fait un agrégat de scènes et de dialogues souvent pittoresques certes, mais sans véritable fil directeur. L’auteur aurait d’ailleurs pu faire le choix ouvert d’une chronique bucolique, un peu à l’image du Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel, au lieu de vouloir créer de toute force une forme d’intrigue autour d’un personnage central (Dignité) dont les attributs et le cheminement paraissent finalement secondaires. N’importe, la parution d’une telle œuvre aurait au moins eu le mérite de témoigner d’un regain incontestable de l’activité romanesque. Malgré les difficultés de l’édition, malgré la précarité matérielle, malgré la défection proverbiale des lecteurs, il semble que les romanciers aient trouvé dans leur seul talent les motivations nécessaires à leur épanouissement. Il semble que de lui-même, sans le recours à des infrastructures spécifiques, le roman gabonais se soit donné les moyens d’une production régulière.